Prologue du voyage digital
Nous le savons, la Terre nous survivra.
Sa capacité de résilience et de régénérescence est extraordinaire.
Alors que nous, êtres humains, avons rompu les liens qui nous liaient à cette force qui transcende la vie.
Imaginez. Au fil de vos déambulation dans un charmant village du sud, vous posez vos mains sur la porte de l’église. Vous poussez sur vos bras pour parvenir à vous faufiler derrière le lourd pan de bois et une sensation de fraîcheur vous enveloppe instantanément. L’humidité du lieu pénètre votre corps et porte à vos narines cette odeur si particulière, mélange d’encens et de cierges consommés. L’écho de vos pas vous fait ralentir. La pénombre révèle des rayons de lumière colorés par les vitraux dans lesquels la poussière virevolte.
Tous ces phénomènes sont vos perceptions physiques, corporelles de cet espace « église ». Une partie d’entre eux sont perçus par la vue mais la majorité sont de l’ordre de l’invisible. Ces perceptions sensorielles font votre expérience vécue du lieu mais aussi le souvenir que vous en aurez. Et pourtant ils ne sont pas représentés sur les plans et les images de synthèse des architectes qui imaginent un espace. Bien souvent, cette expérience sensible du lieu n’est même pas pensée par leurs concepteurs. L’expérience physique d’un espace en lien direct avec le corps humain est invisible à nos yeux. La vue est devenue si prépondérante dans nos facultés sensitives, notre cerveau et notre culture, que nous ne nous occupons plus de ce que nous ne voyons pas.
Créatrice d’espaces pendant presque une décennie, j’ai créé une méthode de cartographie des perceptions sensibles des lieux. Du diagnostic à la conception de l’expérience sensorielle que nous voulions faire vivre aux usagers du lieu, je m’attachais à rendre visible ce qui ne l’était pas, cet invisible pourtant bien tangible dans le vécu du lieu par les personnes qui l’arpentent et le vivent. J’intégrais dans mon travail le vocabulaire de la sensorialité et des émotions. J’alliais mon savoir-faire d’architecte d’intérieur à des méthodes issues de la recherche sur « l’ambiance », la phénoménologie, la sociologie, l’émotionnel, tous ces sujets qui décryptent ce qui nous rend humains. J’employais mon corps comme outils de mesure et de diagnostic des lieux afin de cartographier l’expérience vécue sensible des espaces et lieux. A côté de tous les nuanciers de couleurs et de matières communs à ceux de mes confrères et consœurs de métier, j’ajoutais mes nuanciers sensoriels détaillant à différents degrés de précision, les perceptions sonores, olfactives, tactiles, visuelles, kinesthésiques, aérauliques, hygrométriques, thermiques et lumineuses. Ma méthode inédite de diagnostic de l’empreinte sensorielle® aboutissait à une représentation graphique sous forme de cartographie qui réunissait l’évaluation de mes perceptions sensibles corporelles aux caractéristiques objectives de l’espace dont il était question.
J’ai toujours eu besoin d’objectiver le sensoriel, toutes ces choses que je percevais et ressentais qui semblaient tant échapper à mon entourage et se fondre dans une subjectivité éternellement mouvante. J’avais besoin de comprendre mes perceptions, d’en trouver l’origine pour les rendre acceptables à mon cerveau biberonné à la volonté du mental. J’avais besoin de trouver un moyen pour que les humains s’y intéressent, prennent conscience de leur importance par l’impact que cela a sur nous. J’avais besoin de rendre utile cette hypersensibilité dont l’ignorance n’empêchait pas le foisonnement de perceptions et d’émotions. Ma curiosité devenait atout pour comprendre, remonter à la source, m’alimenter des pensées déjà abouties dans ce champs de la recherche quasi ignoré. Ma rigueur et mon sens de l’observation me permettaient de calibrer, comparer, sous-peser chaque perception une à une, pour les décrire et les nommer. Les choses commencent à exister quand on les nomme. Probablement une façon pour moi de ré-enchanter le quotidien de nos vies, en créant des espaces qui participent à notre bien-être mais aussi à nous sentir vivant.e ; même pris entre quatre murs de béton la majeure partie de notre temps.
J’ai pris récemment conscience que j’avais toujours œuvré à rendre toute sa place à notre sensibilité, à lui redonner ses lettres de noblesse.
J’ai toujours ce sentiment que la vie en dépend.
La mienne. La nôtre. Celle des autres vivants.
Le sentiment que c’est cette richesse de sensations, de perceptions, de compréhensions, de concepts, d’expériences qui constitue la vie. S’ouvrir à la richesse du vivant qui nous traverse, nous permet d’être disponible au vivant à l’extérieur de nous.
Tout comme les perceptions sensibles d’un espace sont invisibles à nos yeux, nous avons perdu de vue ce qui nous lie – nous, êtres humains – à la Terre et au vivant en général. Deux expériences marquantes m’ont amenée à questionner ces liens ; par le soin d’abord lorsque je suis tombée malade à vingt ans. Puis par le sens dont la perte me conduit en Alaska dans ma trentième année, départ désespéré porteur de l’espoir infime de m’extraire du mal-être profond que je traverse.
Au fil de ces 21 chapitres, j’aimerais rendre visibles les interconnexions et interdépendances entre l’humain.e et le vivant, ces liens que j’ai (re)découvert au fil de mon parcours. En prenant la mesure des liens qui unissent ma santé à celle de la planète, j’ai commencé par prendre conscience que prendre soin de moi, loin d’être égoïste et futile, c’est prendre soin de la Terre que j’habite.
En acceptant de questionner le sens profond de mon quotidien, de notre mode de vie tel que nous l’avons construit au fil de l’industrialisation mondialisée, j’apprends à me défaire de nombreuses illusions aliénantes et à mieux vivre ce temps qui m’est offert sur Terre.
En renouant avec ma capacité à voir la beauté du vivant, à m’émerveiller de la nature et de ce qu’elle nous offre abondamment, je peux ressentir ce sentiment puissant d’être une partie d’un tout qui nous dépasse. Et retrouver le sacré : ce lien de confiance laïque, sensible et invisible qui nous lie au mystère de la Vie.
Alors il me semble que nous pourrons transformer en profondeur notre façon de vivre, d’être en liens et notre façon d’administrer notre maisonnée - c’est-à-dire de faire économie - avec confiance, amour et radicalité aussi. Car nous ressentirons dans nos tripes, que nos gestes quotidiens, notre société et notre économie n’ont de sens et d’avenir qu’en s’inscrivant réellement dans les principes du vivant. Nous pourrions véritablement intégrer que notre survie en dépend !
J’ai commencé ma vie professionnelle en cartographiant le sensible et l’invisible des espaces que nous habitons et aujourd’hui je m’essaie à cartographier le sensible et l’invisible à nos yeux de modernes dans tous ce qui fait notre façon d’habiter le monde.
J’espère ainsi contribuer à ce que chacun individuellement ressente qu’il est intrinsèquement tissé de vivant, respirant du vivant, mangeant du vivant, habitant un monde fait par les vivants, tissé au vivant. J’aime l’idée de contribuer à créer, imaginer, une culture du vivant comme la définit Baptiste Morizot. « Une culture du vivant nous force à penser autrement ce que l’on mange, et toute l’agriculture. Cela reconfigure notre manière de concevoir l’architecture, l’urbanisme, l’aménagement du territoire, les infrastructures techniques et énergétiques : cela trame le vivant à toutes ces dimensions de ce qui nous semblait appartenir à notre monde humain quotidien, mais sans impliquer le vivant. »
J’espère ouvrir à un nouveau regard sur nous et sur le monde, nous aidant peut-être à accepter le mystère d’être un corps traversé par le flux de la vie et à retrouver confiance dans les dynamiques du vivant en nous et autour de nous pour mieux vivre en harmonie avec soi et avec le vivant, humain et non-humain, visible et invisible.
Je vous partage mes explorations et expériences intimes dans ce qu’elles m’ont appris de moi et pour ce qu’elles révèlent de notre humanité. Je vous invite à me suivre dans ce monde entre-deux, entre la réflexion intellectuelle et l’expérience sensible éprouvée. Entre le visible et l’invisible, tous deux tangibles. Entre l’explicable et le mystérieux. Entre le matériel et le spirituel. Car je crois que s’inscrire dans le vivant c’est commencer par se reconstituer comme individu intrinsèquement lié au vivant dans toutes ses dimensions.
Accueillir sans résistance les flux du vivant, afin de nous ouvrir à un monde de résonances avec les autres vivants et donner ainsi forme au collectif. Je veux vous offrir une vue d’ensemble des paysages que je tisse intuitivement et intimement entre le soin - la quête de santé et de mieux-être - et le besoin de sens, entre le mieux-être à échelle individuelle et les enjeux d’écologie planétaire auxquels l’humanité fait face.
Avec amour.
/// Anaïs
Pour découvrir les 21 chapitres de (M)ondes sensibles, c'est ici.
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